Article d'InfoMigrants du 04.08.2022 :
À Nice, un campement au cœur d'un "jeu politicien"
Le maire de la ville de Nice, Christian Estrosi, a annoncé mardi 2 août l'expulsion imminente d'un campement situé le long du port. Ce lieu de vie, qui accueillait une diversité de profils d'exilés, se retrouve désormais pris dans un "show sécuritaire" selon l'association Tous Citoyens!.
Sous la chaleur écrasante de l'après-midi, ce jeudi 4 août, les quelques tentes alignées le long de la digue du port de Nice, dans le sud de la France, sont vides. Ce petit campement informel est sous le coup d'une procédure d'expulsion et les occupants sont déjà partis.
Depuis un peu plus d'un an, ils étaient sept, huit, parfois une quinzaine d'occupants, à dormir là. Beaucoup étaient des demandeurs d'asile, dotés de leur récépissé, principalement venus d'Afrique subsaharienne. Nice est la première ville où il est possible de déposer sa demande d'asile après avoir franchi la frontière franco-italienne dans cette zone. D'autres occupants étaient en recours auprès de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). On rencontrait aussi, dans ce petit campement, des déboutés.
Le lieu de vie a aussi vu défiler bien d'autres profils. "Il y a deux mois et demi, j'ai pris en charge deux MNA", raconte David Nakache, président de Tous Citoyens !, une association locale engagée auprès des exilés et particulièrement des mineurs. "La dernière fois aussi, il y avait une personne française, bénéficiaire du RSA, sans moyen d'hébergement. Il y a quelques mois encore, c'était un mineur français, en fugue, que l'on a patiemment convaincu de se faire accompagner par les services sociaux."
Hébergement saturé, "poches de pauvreté"
Ce campement était donc, depuis un an, une de ces "poches de pauvreté", comme les appelle le bénévole, que l'on trouve à Nice. Pour lui, le fait que des Français et des personnes exilées s'y soient côtoyées "montre bien que les personnes en détresse ne savent pas où aller dans cette ville".
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Pour les demandeurs d'asile, qui ont droit aux conditions matérielles d'accueil (une allocation spécifique et un hébergement), le centre d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) de Nice est "régulièrement plein à craquer", selon David Nakache. Les autorités n'ont pas répondu, pour le moment, à nos demandes de précisions quant aux capacités de ce CADA.
Pour le reste, l'hébergement d'urgence est saturé. Il existe "20 à 30 places pour les femmes dans des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), ce qui est largement insuffisant : beaucoup, y compris des femmes migrantes, se retrouvent à la rue et y subissent des violences", indique David Nakache. Les hommes seuls, eux, "se découragent après avoir appelé deux ou trois fois le 115" : ils n'y sont pas prioritaires.
Des lieux de vie informels s'installent donc ici ou là dans la ville, mais ils ne durent jamais très longtemps. "Il y a une chasse aux pauvres organisée à Nice", observe le président de Tous Citoyens !. "Dès qu'un regroupement devient un peu trop gros, on les déloge."
Un campement au cœur d'une communication politique
Le campement du port de Nice ne déroge pas à la règle. Bien au contraire : il s'est trouvé, cette semaine, au cœur d'une campagne de communication de la part du maire, Christian Estrosi (Horizons, allié de la majorité présidentielle). Mardi 2 août, celui-ci s'est rendu sur place, accompagné des forces de l'ordre et suivi par des caméras de télévision, pour annoncer que ce lieu de vie serait évacué dans les 48 heures.
Cette annonce fait suite à une décision rendue le 22 juillet par le tribunal administratif de Nice, saisi par la municipalité au mois d’avril. Face aux médias, ce jour-là, un Sénégalais présent sur le campement témoigne, auprès d'Actu.fr notamment : "Qui veut rester dans les cailloux ici ? Qui veut ça ? Personne ! J’ai des amis qui sont devenus fous en restant ici (...) c’est politique, c’est pour les touristes qu’ils veulent nous expulser."
De son côté, Christian Estrosi a profité de l'occasion pour plaider en faveur de pouvoirs municipaux accrus. Dans une vidéo postée sur ses réseaux sociaux, l'édile demande à pouvoir s'appuyer sur sa propre police municipale pour "déloger moi-même, sans que le tribunal ait pris de décision (...) et sans que le préfet ne décide de mettre à disposition la force publique". En somme : en se passant des circuits habituels de la justice, et de l'administration, jugés trop lents.
Christian Estrosi a déjà écrit un courrier au ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, à ce sujet. Il assume également sa volonté de "mettre des caméras qui font que, dès l'instant où ils commencent à tenter de s'installer, nous puissions intervenir... Car une fois qu'il sont installés nous n'avons plus le droit de les déloger", estime-t-il.
"Un show sécuritaire"
Cette "mise en scène" ressemblait à "un show sécuritaire", fustige David Nakache. Accroître ainsi les pouvoirs du maire serait synonyme de "la fin de l'Etat de droit", à ses yeux. "Si les élus locaux peuvent jouer ainsi les shérifs, être juges et partis, alors tous les garde-fous vont sauter. C'est un jeu politicien dont les personnes migrantes et les personnes en précarité sont les premières victimes", dénonce le responsable associatif.
Christian Estrosi a assuré, mardi, avoir entrepris de nouvelles démarches auprès des tribunaux pour obtenir l'expulsion d’autres campements de la ville, dont ceux "sous l'autopont du CADAM, le Boulevard Luciano ou encore les squats de la Madeleine". En attendant les prochaines déclarations des autorités à ce sujet, l'association Tous Citoyens ! tente de retrouver ce que sont devenus les occupants des tentes du port. Ont-il fui en anticipant l'arrivée des forces de l'ordre ? Ont-il déjà été interpellés ? La préfecture des Alpes-Maritimes n'a pas, pour le moment, répondu à nos questions à ce sujet.
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